29/12/2008

HOTEL CALIFORNIA de Barney Hoskyins et quelques chansons de Joni Mitchell


Le livre de l'excellent journaliste et critique anglais Barney Hoskyns sur la scène folk rock de Los Angeles entre 1967 et 1976, paru récemment en français, est assez terrifiant. 
Comme son titre anglais l'indique, le personnage essentiel de l'époque est finalement la poudre. Défonce extrême, sexe à go-go et querelles incessantes d'égos surdimensionnés, tel est le résumé du livre, passionnant dans ce qu'il raconte de l'ascension de David Geffen (démoniaques jusqu'au point de faire cohabiter sur son label dans les années 90 Nirvana et les Guns n'Roses). 
On relèvera aussi cette anecdote sur l'habitude de Don Henley des Eagles de faire chercher ses copines en jet privé ou évidemment celles nombreuses sur le morse hippy David Crosby
Joni Mitchell n'est pas en reste et son image est loin de rester immaculée à la fin du livre. En revanche, l'occasion s'est présentée de se replonger dans quelques uns de ses albums et c'est ainsi qu'on a réécouté Court and Spark (1974)) et The Hissing of Summer Lawns (1975), deux disques qui contiennent plusieurs chansons exceptionnelles, dont celles-ci : 

Joni Mitchell - People's Parties (Court and Spark, 1974) 

Joni Mitchell - Don't Interrupt The Sorrow (The Hissing of Summer Lawns, 1975)

Joni Mitchell - The Hissing of Summer Lawns (The Hissing of Summer Lawns, 1975)

Où l'on constate l'incroyable sens du rythme de la canadienne dans cette manière de réciter ses textes, une manière qu'on retrouve chez Prince (The Ballad of Dorothy Parker, Joy in Repetition) dont on sait que Mitchell est l'une des principales influences. 

Loin d'avoir le même talent, David Crosby possédait néanmoins une voix superbe. Bien trop défoncé, celui-ci n'en a que trop peu fait usage. C'est son album If I Could Only Remember my Name (tout est dit) qui témoigne le mieux de ses capacités vocales mais aussi de ses limites en tant que compositeur et son état de junkie. 

David Crosby - Traction in  The Rain (If I Could Only Remember my Name, 1971) 

Quant à Neil Young, lui non plus n'est pas toujours épargné dans le livre de Barney Hoskyns. Reste qu'il est certainement avec Joni Mitchell l'un des musiciens les plus talentueux de tous. La preuve en musique avec les sorties de plusieurs albums live de l'époque ou le ténébreux canadien est au sommet. 40 ans plus tard, il l'a à peine quitté. 

Neil Young - On The Way Home (Live at Massey Hall 1971)
Neil Young -

Enfin on croise également Tim Buckley et Tom Waits dans Hotel California. Le premier furtivement, pilier du Troubadour jusqu'à sa mort à 28 ans d'une overdose d'héroïne et clap de fin de l'âge d'or. Le second loin de Laurel Canyon, à l'Hôtel Tropicana, picolant avec Rickie Lee Jones et Chuck E.Weiss et sévère envers les hippies des beaux quartiers, les Eagles, America ou Neil Young. Mais comme ce dernier, l'avenir lui donnera raison.

28/12/2008

HORS-CHAMPS Ep.02 - To Catch a Crab

Juste avant la fin de l'année, voici un nouvel épisode de "Hors-Champs", une série destinée à parler de quelques groupes ou artistes non encore signés par des labels.

Dans To Catch a Crab, une formation dont on avait chroniqué le concert à l'Artichaut en début d'année (To Catch a Crab à l'Artichaut), la chanteuse Christine Clément est aux côtés du batteur Pascal Gully (Zakarya). Si la sortie de leur premier album est prévue dans quelques mois, les morceaux extraits de ce dernier et disponibles à l'écoute sur myspace sont plus que prometteurs.


Au carrefour de la pop, des musiques électroniques, expérimentales et jazz, un univers sombre d'une richesse musicale impressionnante, au milieu duquel Christine Clément et Pascal Gully font intervenir en plus de la voix et des percussions, guitare électrique, effets électroniques, claviers et trompette.
Des chansons à tiroirs, noires et étranges, comme New Shelter, qui démarre dans un déluge saturé et s'étire vers une atmosphère rappelant les heures sombres de Tricky, tandis qu'à l'inverse, sur Folk, ce sont d'immenses espaces qui semblent suggérés, la trompette laissant alors progressivement place à d'amples vocalises.
Depuis longtemps on apprécie le mystère qui entoure le dialogue étrange et sensuel de Drogenfahnder et sa ponctuation percussive feutrée, ainsi que le dépouillement de Liquide et ses détails aquatiques.
Mais To Catch a Crab c'est aussi Invisible War et Botanic, deux morceaux aux mélodies accrocheuses, aux développements rythmiques remarquables, à se passer en boucle.
On l'avoue volontiers, ici on adore To Catch a Crab, une formation qui rassemble plusieurs des éléments qu'on trouve essentiels dans la musique : une richesse instrumentale qui sait laisser la place aux silences, le soucis des détails, le sens mélodique, un groove qui donne à la musique une respiration ample, et enfin une voix, instrument à part entière, pièce évidemment maîtresse d'un dispositif magnifiquement sensuel. Un disque qui devrait, entre autres, faire le bonheur de l'excellent magazine anglais Wire.

17/12/2008

PLAT DU JOUR 20 - John Zorn, Roy Orbison, Anthony Hamilton, Jane Birkin, Agnès Varda


Quelques unes des dernières sorties de l'année passées en revue aujourd'hui, avec au programme les disques de  Jane Birkin, Anthony Hamilton ,Roy Orbison et John Zorn .

C’est un euphémisme de dire que l’on a suivi de très loin la carrière discographique de Jane Birkin. La curiosité étant souvent récompensé, l'oreille jetée sur Enfants d’Hiver a offert une belle surprise. Sobrement produit et arrangé, évitez peut-être de le passer à votre famille le soir de Noël. Pour un même résultat, laissez plutôt allumé la gaz.  Désormais avertis, vous pourrez néanmoins apprécier cet album sans vous passez la corde au cou. Pour la première fois, c’est Jane Birkin elle-même qui a écrit tous les textes, ces derniers mis en musique par, entre autres, Alain Souchon et son fils. Ce sont eux par exemple qui signent le superbe Période Bleue, murmure nostalgique qui précède une évocation de Léo Ferré sur le dépouillé piano/voix A la Grâce de Toi. On relèvera également le majestueux et sombre 14 février, on passera sur l’hommage musicalement raté à la Prix Nobel de la Paix Aung San Suu Kyi et on terminera sur l’émouvante Les Boîtes (« ces boîtes contiennent toute ma vie »), délicatement accompagné par un accordéon discret.
Au final, on tient avec Enfants d’Hiver le meilleur album de Jane Birkin.

Jane BirkinPériode Bleue (Enfants d’Hiver 2008, Liberty)



Le chanteur Anthony Hamilton se maintient lui à un excellent niveau sur The Point of It All. Hamilton, c’est d’abord une voix superbe, chauffée longtemps dans les chœurs de pionniers de la « nu soul », D’Angelo en tête. Reste la musique. Celle-ci n’évite pas les clichés à quelques reprises (les abominables Her Heart et Soul’s on Fire, une intervention ridicule de David Banner sur Cool) mais surnage suffisamment pour qu’on savoure ce disque, bien meilleur que le dernier John Legend et bien plus authentique que tous les affreux Jamie Lidell ou Raphael Saadiq. Quelques ballades moites valent le détour (Hard to Breathe, Please Stay, The Point of It All) et on avouera être particulièrement emballé par un Prayin’ For You/ Superman qui commence en funk/gospel et se termine sur un blues piano/voix qui laisse entrevoir de sacrées promesses !

Anthony HamiltonThe Day We Met (The Point of It All 2008, SoSoDef)



Non, l’homme aux lunettes noires n’est pas ressorti de sa boîte. En revanche, sa musique en sort fièrement ces temps-ci, avec la publication d’un coffret de quatre disques qui couvrent l’ensemble de sa carrière. Au-delà des tubes de l’immense Roy Orbison, puisque c’est de lui qu’il s’agit (Pretty Woman, Crying, Runnin’ Scared, You Got It), c’est la présence de plusieurs démos et enregistrements guitare/voix qui font de The Soul of Rock N’Roll une acquisition indispensable. A ce moment-là vous allez entendre Precious et Claudette et vous allez frémir à l’écoute de cette voix d’un autre monde.

Roy OrbisonPrecious (The Soul of Rock N’Roll 2008, SonyBMG)



Roy OrbisonClaudette (demo) (The Soul of Rock n’Roll 2008, SonyBMG)



Deux disques de John Zorn qui en aura une fois de plus publié une quantité impressionnante cette année. La suite de ses musiques de film d’abord, avec le volume 22, qui fait entendre un quintet vocal a cappella. Mystérieuse et franchement flippante, la musique de The Last Supper se révèle également superbe, quand bien même vous ne l’écouterez pas tous les matins.

John ZornThe Last Supper (The Last Supper 2008, Tzadik)



Mike Patton gueule, la basse électrique de Trevor Dunn est à son volume maximum, John Zorn fait hurler son saxophone comme aux plus belles heures de Naked City et Joey Baron adore ça. Vous écoutez The Crucible, troisième volet des aventures du trio Moonchild (Dunn, Baron, Patton), augmenté cette fois du maître des lieux, John Zorn lui-même. Tous les éléments des différents projets historiques de ce dernier sont réunis ici, de Naked City donc, aux formations Masada, acoustique et électrique, en passant par Painkiller. Trevor Dunn est particulièrement impressionnant, torturant sa basse de belle manière. Et comme il n’en manquait qu’un, Marc Ribot s’habille en Jimmy Page le temps d’un 9 x 9 calqué sur le Black Dog de Led Zeppelin. Que du bonheur.

John Zorn9 X 9 (The Crucible 2008, Tzadik)



Entre tous ces disques, allez voir le magnifique documentaire autobiographique d’Agnès Varda, Les Plages d’Agnès. Des idées incroyables, une inventivité folle, une voix passionnante et une histoire de l’art (Alexander Calder) et du cinéma (Jacques Demy, Chris Marker, Jean-Luc Godard), vous en ressortirez enchanté.

05/12/2008

PLAT DU JOUR 19 - Françoiz Breut, Matthew Herbert, Peven Everett, John Zorn, Vic Chesnutt, Joe Louis Walker, Kindred The Family Soul


Spadee Sam presents – Plat du Jour 19 Mix



01 – Matthew Herbert Big BandThe Story (There’s me and There’s You 2008, K7/Accidental)
02 – Peven EverettWill I See You There (Dear Europe 2008, StudioConfessions)
03 – Kindred The Family SoulCan’t Help It (The Arrival 2008, HiddenBeach)
04 – Vic Chesnutt, Elf Power, The Amorphous StrumsTeddy Bear (Dark Developments 2008, OrangeTwin)
05 – Joe Louis WalkerI Got What You Need (Witness to The Blues 2008, Dixiefrog)
06 – Françoiz BreutLes Jeunes Pousses (A L’Aveuglette 2008, T-Rec)
07 – John ZornMasque en Sole (Filmworks XXI : Belle de Nature-The New Rijksmuseum 2008, Tzadik)

Excellent nouveau disque en big band du compositeur activiste anglais Matthew Herbert. Une poignée d’années après un déjà très bon Goodbye Swingtime (avec Dani Siciliano et Jamie Lidell) , Herbert récidive en grande formation avec, à la tête de celle-ci, la chanteuse Eska Mtungwazi. Départ en trombe avec l’ample The Story, puis un sexy Pontificate et Waiting, l’une des meilleures plages du disque, swing orchestral et groove soyeux. La ballade n’est pas oubliée avec une belle Rich Man’s Prayer. On aura peut-être du mal à tout avaler en une fois mais morceau par morceau, c’est délicieux.

En revanche, les autres disques du moments sont plutôt inégaux.

Chez Peven Everett, c’est une habitude. Chanteur extraordinaire, évoluant à la frontière de la house et de la soul, l’américain publie une quantité ahurissante de disques composés sur des claviers bons marchés. Ne cherchez donc pas de qualités particulières aux compositions d’Everett mais vous pourrez en revanche savourer le groove imparable qui s’échappe naturellement de sa voix.

De belles promesses à l’écoute des deux premiers titres de The Arrival, le nouvel album du duo Kindred and The Family Soul. Ca s’arrête malheureusement là. Une raison supplémentaire d’apprécier la soyeuse ballade nu soul Can’t Help It, en charmante compagnie et pendant les longues soirées d’hiver.

Pour Vic Chesnutt, la bonne série devait bien prendre fin un de ces jours. Mais la chute n’est pas si brutale. Après deux disques fantastiques, Ghetto Bells et The North Star Deserter, ce Dark Developments semble d’abord bien décevant avant de dévoiler ses charmes au fur et à mesure des écoutes. Beaucoup plus léger (on n’hurle pas de rire non plus rassurez vous) qu’à l’accoutumée, comme ce demi-reggae intitulé Teddy Bear.

Dans son numéro de décembre, le magazine Jazzman a choisi le dernier disque de Joe Louis Walker comme disque de l’année dans la catégorie blues, avec cette conclusion : le blues moderne. Si Witness to The Blues est un disque de blues moderne, nous sommes tous des morts vivants. On ne passe pas un si mauvais moment à l’écoute de Witness mais de là à en faire un disque incontournable, il y a de la marge. Visiblement, la musique de Chris Whitley n’a pas encore résonné dans toutes les oreilles.

La seconde partie du vingt et unième volume des musiques de films de John Zorn est sans intérêt (The New Rijksmuseum, clavecin et percussions). Mais avant d’en arriver là, il y a sept plages et une demi heure de très belle musique avec la bande son de Belle de Nature, un film érotico SM. Pas de surprises dans les compositions de Zorn mais l’association de la harpe de Carol Emanuel, des guitares électrique et acoustique de Marc Ribot et de la contrebasse de Shanir Blumenkranz est une réussite. Une musique beaucoup plus douce et agréable que certaines piqûres d’orties...

Enfin, l’un des meilleurs disques de l’année (le meilleur ?) au rayon chanson française. A l’Aveuglette de la chanteuse Françoiz Breut est magnifique. Voix et textes superbes, musique de grands espaces qui évoquent les meilleurs moments de Holden ou évidemment de Dominique A, on est dans une mélancolie jamais assommante et à la fin de ce disque court (un peu plus d’une demi heure), on se presse de réappuyer sur la touche lecture. Mille fois oui à Françoiz Breut, et courrez offrir A l’Aveuglette à vos amis pour les fêtes.