17/05/2008

KIP HANRAHAN, ASTOR PIAZZOLA ET LE LABEL AMERICAN CLAVE


Comme promis, passons la vitesse supérieure et intéressons-nous au producteur Kip Hanrahan et à son label American Clavé, alors que paraissent ces temps-ci des rééditions du catalogue, chez Enja Records.


SPADEE SAM presents – Born Anew at Each A.M.Mix

01 – Busses from Heaven (Beautiful Scars 2007, AMCL 1060)
02 – One Casual Song (After Another) (Vertical’s Currency 1984, AMCL 1010)
03 - ....If I Knew How To, If I Knew (Tenderness 1993, AMCL 1016)
04 – Hollywood in Harlem (Every Child Is Born a Poet 2006, AMCL 1032)
05 – Caravaggio / A Quick Balance (Beautiful Scars 2007, AMCL 1060)
06 – Aziz and Azizah (A Thousand Nights and a Night 1996, AMCL 1036)
07 – Leijia Heads to Brooklyn (Beautiful Scars 2007, AMCL 1060)
08 – Milton Cordona (Beautiful Scars 2007, AMCL 1060)
09 – What Else Can I Do With a Drum (Days and Nights of Blue Luck Inverted 1988, AMCL 1012)
10 – Born Anew at Each A.M. (Every Child Is Born a Poet 2006, AMCL 1032)
11 – Gender (Days and Nights of Blue Luck Inverted 1988, AMCL 1012)
12 – A Small Map of Heaven (Vertical’s Currency 1984, AMCL 1010)
13 – Love Is Like a Cigarette (Days and Nights of Blue Luck Inverted 1988, AMCL 1012)
14 – Pretty as Thee (Every Child Is Born a Poet 2006, AMCL 1032)
15 – Shahrazad (A Thousand Nights and a Night 1996, AMCL 1036)
16 – Shahrazad Shifts Angles, Introducing (A Thousand Nights and a Night 1996, AMCL 1036)
17 – Dunya’s Nocturnal Realization (A Thousand Nights and a Night 1996, AMCL 1036)
18 – Shahrazad at The Closing of The First Night of Stories (A Thousand Nights and a Night 1996, AMCL 1036)

Avant de définitivement se tourner vers la musique à la fin des années 70, Kip Hanrahan avait étudié l’architecture puis le cinéma. Deux domaines qui n’ont ensuite jamais cessé de faire partie intégrante de son œuvre, débutée en 1981 avec Coup de Tête et dont la dernière trace à cette heure est l’album Beautiful Scars, paru il y a quelques mois.

Percussionniste, Kip Hanrahan est avant tout producteur. Depuis plus de 25 ans, tous les disques parus sous son nom incluent une quantité impressionnante de musiciens, actifs sur les scènes du jazz/free jazz, de la musique latine ou du rock.

Depuis 25 ans, on a pu entendre sur une quinzaine de disques, et parmi beaucoup d’autres, les guitaristes Arto Lindsay ou Leo Nocentelli (The Meters), les bassistes Jamaaladeen Tacuma, Bill Laswell ou Fernando Saunders, les batteurs Anton Fier, Andrew Cyrille ou JT Lewis, les pianistes Carla Bley, Don Pullen, Mike Cain ou DD Jackson, les violonistes Alfredo Triff ou Billy Bang, les souffleurs Jerry Gonzalez, Henry Threadgill, Byard Lancaster, David Murray ou Ron Blake.

Mais le ciment de l’oeuvre d’Hanrahan, c’est la basse électrique, celle, élastique, de Steve Swallow, ainsi que les percussions magiques et omniprésentes de Milton Cardona, Daniel Ponce, Horacio El Negro Hernandez ou Robby Ameen, les voix de Brandon Ross, Lisa Herman, Alvin Youngblood Hart ou Lindsey Marcus, celles de la cubaine Xiomara Laugart ou encore du gallois Jack Bruce, mythique bassiste du groupe Cream avec Eric Clapton.

Des voix chantées, parlées, murmurées, en anglais, en espagnol.

Tous les disques de Kip Hanrahan se ressemblent plus ou moins, et font entendre une musique faite de plans rapprochées, urbaine, new-yorkaise, cosmopolite, métissée, sensuelle, moite.
Impossible d’écouter un disque d’Hanrahan à la campagne en hiver.

Il fut pendant longtemps difficile de conseiller un disque en particulier parmi la dizaine d’albums publiés sous son nom. Le premier, Coup de Tête, résonne des éclairs de guitare d’Arto Lindsay et cache une merveilleuse reprise d’India Song de Jeanne Moreau et Marguerite Duras, avec Carla Bley au piano et au chant.
Deux and plus tard, Desire Develops an Edge voit l’apparition de deux des éléments les plus importants dans l’œuvre d’Hanrahan, la basse de Steve Swallow et la voix de Jack Bruce.
Si en 1984, sur Vertical’s Currency, il n’y avait eu que ce fantastique Small Map of Heaven… La voix de Jack Bruce y est sensuelle comme jamais, David Murray offrant quant à lui un solo magnifique.
5 ans plus tard, Days and Nights of Blue Luck Inverted en est la sombre suite.
Au même moment, le pianiste Don Pullen, la chanteuse Carmen Lundy et le violoniste Alfredo Triff illuminent Tenderness, avant qu’en 1993, Exotica penche nettement du côté des Caraïbes.
Puis les Mille et une Nuit, et leur libre adaptation par Hanrahan et ses musiciens. Des dialogues nocturnes, intimes, un leitmotiv de piano et toujours de fantastiques percussions.
Et puis, alors que l’on pensait le meilleur derrière lui, voilà que Kip Hanrahan publie Beautiful Scars, où tout est du même niveau que Busses from Heaven ou Caravaggio, notamment One Summer Afternoon, Xiomara wears The Hat Beautifully ou The Accountant of Morning, sur lesquels Alfredo Triff mais aussi le saxophoniste Ron Blake font des merveilles.


N’hésitez pas et courrez acheter Beautiful Scars, vous l’écouterez longtemps, ce qui de nos jours est plutôt rare.






SPADEE SAM presents – Tangologie, an American Clave Mix


01 – Alfredo TriffAmbiente Pa ‘Ti (21 Broken Melodies at Once 2000, AMCL 1023)
02 – Astor PiazzollaTanguedia III (Tango : Zero Hour 1986, AMCL 1013)
03 – Silvana DeluigiAquesto Abajo (Yo! 2002, AMCL 1025)
04 – Alfredo TriffBolero Para Las Memorias (21 Broken Melodies at Once 2000, AMCL 1023)
05 – Deep RumbaArabian Nights (Deep Rumba, A Calm In The Fire of Dance 2000, AMCL)
06 – Silvana DeluigiTangologie (Yo! 2002, AMCL 1025)
07 – Astor PiazzollaKnife Fight (The Rough Dancer and The Cyclical Night 1988, AMCL 1019)
08 – Astor PiazzollaMichelangelo ’70 (Tango : Zero Hour 1986, AMCL 1013)
09 – Astor PiazzollaPrologue (Tango Apasionado) (The Rough Dancer and The Cyclical Night 1988, AMCL 1019)
10 – Silvana DeluigiSonamos el Tango (Yo! 2002, AMCL 1025)
11 – Deep RumbaBesame Mucho (Deep Rumba, A Calm In The Fire of Dances 2000, AMCL 1030)
12 – ConjurePetit Kid Everett (Cab Calloway Stands In For The Moon 1988, AMCL 1015)
13 – ConjureMinnie The Moocher (Cab Calloway Stands In For The Moon 1988, AMCL 1015)

Très vite, Kip Hanrahan créé le label American Clavé afin d’y publier sa musique et celle d’amis comme le percussionniste Milton Cardona, le trompettiste Jerry Gonzalez et plus tard, le violoniste cubain Alfredo Triff.

Y sortent les albums sous son nom mais aussi des projets comme Conjure, qui rassemblent autour des textes d’Ishmael Reed (auteur en 1972 du flamboyant Mumbo Jumbo) certains des musiciens nommés précédemment, rejoints par Taj Mahal, Allen Toussaint, Lester Bowie, Olu Dara ou Bobby Womack, pour trois disques qui brassent toutes les musiques afro-américaines, blues, soul, jazz, free jazz, funk.

Mais American Clavé est surtout le label sur lequel paraissent trois des derniers disques, les meilleurs, d’Astor Piazzolla.

Trois disques en quintet, augmenté sur The Rough Dancer and The Cyclical Night du saxophone alto de Paquito D’Rivera.
Trois disques d’une violence inouïe, sensuels, sexuels.
Sur Tango :Zero Hour, The Rough Dancer et La Camorra, le tango est joué «comme dans un bordel, par des musiciens à moitié ivres qui s’aiment et se détestent ».
Une musique au cordeau, sèche, sans fioriture, où claquent comme un fouet les glissandos rapides du violoniste Fernando Suarez Paz, les contrepoints percussifs du piano de Pablo Ziegler et surtout le bandonéon d’El Troesma, puissant, complexe.
Par leurs extraordinaires évocations des passions les plus extrêmes, ces trois disques tuent pratiquement le tango, devenu, débarrassé de tout folklore, autant blues que soul.
La solitude d’une provocation passionnée…

« Quel pêché a donc commis Astor Piazzolla dans une vie antérieure pour voir depuis sa mort sa musique ainsi massacrée par les musiciens classiques, alors qu’il ne supportait pas la manière qu’avait ces derniers d’essayer, en vain, de la jouer ».
‘Il faut avoir ma musique dans le cœur, dans le corps, avant même que je l’écrive. Avec eux, c’est impossible ».
« Astor assistait à une répétition, réarrangeait le tout de manière à rendre sa musique plus simple rythmiquement et émotionnellement, puis laissait tomber, acceptait les récompenses et sa musique, vide ».
« Depuis sa mort, sa musique est presque exclusivement jouée, vidée, massacrée par des musiciens classiques ».
« L’une des caractéristiques d’Astor Piazzolla est qu’il jouait debout. « Je refuse de paraître comme une veille dame entrain de tricoter ». Chanteur ou saxophoniste, vous parlez, respirer, sonnez différemment en vous tenant debout. Récemment, à Buenos Aires, les jeunes joueurs de bandonéon se tenaient tous assis. Toute la sensualité du jeu de Piazzolla s’était perdue. Et ils ressemblaient à nouveau tous à de vieilles dames entrain de tricoter ».

KIP HANRAHAN

Astor Piazzolla : Milonga del Angel
Astor Piazzolla : Michelangelo 70

Kip Hanrahan poursuivra son travail autour du tango après la mort du maître, en produisant l’excellent Yo!, de la chanteuse argentine Silvana Deluigi, et sur lequel on retrouve presque au complet le quartet qui entourait Piazzolla sur Tango Zero Hour et La Camorra.


Bonus : Quelques suggestions extra-musicales pour accompagner la musique de Kip Hanrahan et du label American Clavé.

En sirotant un mojito, regardez, si ce n’est déjà fait, In The Mood for Love de Wong Kar-Wai, et lisez Los Boys (10/18), le magnifique livre de l’écrivain américain d’origine dominicaine, Junot Diaz.

Vous m'en direz des nouvelles...

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Félicitations pour cet article!
Je me sens quelque peu concerné comme tu t'en doutes malicieusement...je suis musicien classique et adore jouer la musique de ce cher Astor. Et je ne peu malheureusement que confirmer, pour la plupart du temps,le manque d'aptitude des musiciens de conservatoire dans ce repertoire.j'observe néanmoins quelques exceptions: Zoran Dukic lors de son passage à strasbourg (tu n'y étais malheureusement plus)qui l'interpréta magistralement dépassant les "enclaves du classique".Le duo melis(un peu de promo pour mon prof)que je trouve incroyable même dans ce repertoire(souviens toi cette fois tu y étais).En tous cas il est clair qu'il ne faut pas "raisonner" classique pour pour jouer Piazzola qui est avant tout une musique du coeur comme il le dit si bien et supporte assez mal son passage sur partitions.bref encore bravo pour le travail sur cet article à bientôt!

Anonyme a dit…

Merci pour ton commentaire.

Voici les liens vers les musiciens que tu cites :

Zoran Dukic : Zoran Dukic

Duo Melis : Duo melis

Duo Melis joue Piazzolla : Duo Melis joue Piazzolla

Anonyme a dit…

Très bon article sur Kip. Bravo.

Il passe à Nancy mi octobre 2008 au Nancy Jazz Pulsation.

J'avais fait un site sur Kip en 2003, en cours de rénovation.

http://hanrahan.free.fr

JP Poibeau

Anonyme a dit…

Merci beaucoup du compliment! J'ai bien évidemment fait un tour sur ton site pendant que j'écrivais cet article, que je vais probablement essayer d'améliorer prochainement, quelques points ne me satisfaisant guère! Je mettrai aussi un lien vers ton site.
Je serai volontiers aller le voir à Nancy mais je crois que ca ne pourra malheureusement pas se faire!
a +

Anonyme a dit…

Hanrahan à Nancy, c'était bien. En plus, il est très sympa : j'ai pu discuter avec lui avant et après le concert. Il a joué le soir précédent à Vienne :

http://www.pbase.com/ekke/hanrahan

JP Poibeau