06/10/2008

JAZZDOR STRASBOURG-BERLIN 2008 - Ep.05, 03/10 - Lenin on Tour, a Road Show

On n'a pas tous les jours 18 ans. Vendredi 3 octobre 2008, fête nationale allemande, célébration de la réunification de 1990. Autour de 20 heures, il règne une drôle d’atmosphère autour de la Volksbühne, le Théâtre du Peuple de Berlin. Des cars de CRS sont postés un peu partout, la lumière du jour vit ses derniers instants, il semblerait qu’on ne retrouve plus le portrait de Lenine accroché au mur du Roter Salon, annexe du grand théâtre. Pas certain qu’à ce moment-là, les hommes en uniforme savent que c’est Das Kapital qui va occuper la scène du Babylon pendant la première partie de la soirée. Pas certain non plus qu’ils savent que Lenine est en ballade. Pour ceux qui ont assisté il y a un an à l’extraordinaire projet Wonderland des mêmes trois musiciens de Das Kapital, avec le cinéaste Nicolas Humbert et le vidéaste Martin Otter, l’attente est grande, et l’on pressent quelque chose d’important. Quelques heures auparavant, alors que les musiciens quittaient leur hôtel pour se rendre au Babylon, Edward Perraud, qui vient avec ses camarades de visionner le montage que Nicolas Humbert et Martin Otter ont réalisé d’après les images du plasticien Rudolf Herz, nous confit, ému : « le film est superbe, on reconnaît tout de suite la patte de Nicolas » et montre un papier sur lequel sont inscrits quelques annotations de jeu.
A 21 heures, tout le monde est à sa place lorsque Philippe Ochem, directeur du festival, introduit brièvement le projet, unique puisque pour des raisons de droits d’images, seule une seconde représentation sera donnée à Strasbourg le 7 novembre prochain.
Cinq minutes depuis que les musiciens ont pris place sur la scène, que les premières images ont été dévoilées, et l’on a compris. Compris que là, tout de suite, ce soir, on tient l’un de ces moments que l’on ne rencontre que très rarement. Un de ces moments où tout semble touché par la grâce, la magie. Mais rien n’est vraiment magie. Seul le talent, la concentration, l’intense communion, la totale compréhension mutuelle entre trois musiciens et deux réalisateurs, dont Edward Perraud dit qu’ils sont « comme des frères », ont leurs voix au chapitre.
Alors quand défilent sur l’écran du Kino Babylon ces images d’une incroyable beauté, quand chacune d’elle possède un sens, quand chaque mouvement de personnage, de caméra, raconte au même instant tant de choses et si peu, alors la musique ne peut qu’épouser les formes d’un voyage hors du commun. Hasse Poulsen, Daniel Erdmann et Edward Perraud sont soudés au point de faire totalement corps avec celles-ci.
Alors pas la peine d’en faire des tonnes sur l’inventivité permanente et incroyable de Perraud à la batterie, sans limite, sur le jeu d’une richesse inégalée de Hasse Poulsen, d’abord doux à en pleurer, puis l’instant d’après d’une rage magnifique, faisant en même temps intervenir les sons du film, et sur ce souffle venu d’ailleurs de Daniel Erdmann, lyrisme sauvage par l’un des plus grands saxophonistes actuels.
Changements de climats, crescendos nerveux, moments de répits, de silences, de contemplation, le calme avant la tempête puis l’inverse, un étonnement sans fin dans cette musique qui n’est plus jazz, rock ou on ne sait quoi mais qui devient vagues gigantesques et successives d’émotions.
On sort de la salle le visage marqué, sonnés, subjugués, avec encore dans l’esprit ces voix, ces visages, ces cicatrices d’une Histoire qui se joue désormais au présent, le regard tourné vers l’avenir.

Le projet Lenin on Tour, a Road Show était donc programmé pour la première fois à Berlin. Si à la sortie, les tractations allaient bon train pour obtenir l’autorisation de montrer ce projet au plus grand nombre, il n’y aura vraisemblablement qu’une autre date pour assister à cet évènement, le vendredi 7 novembre au Maillon de Strasbourg dans le cadre du festival Jazzdor.
On n’assiste jamais deux fois au même concert et il est des lieux, des atmosphères qui indéniablement participent à la réussite d’une soirée. Mais si vous êtes là et qu’il reste des places, ne pas être dans la salle ce soir-là serait passer volontairement à côté d’un grand moment.
La veille, David Florsch, saxophoniste d’Ozma, nous parlait avec passion d’un concert du quartet de Wayne Shorter, avec Brian Blade, Danilo Perez et John Patitucci. C’est avec cette même passion, cette même émotion qu’on aimerait raconter ce soir du 3 octobre 2008 au Babylon de Berlin, avec Hasse Poulsen, Daniel Erdmann, Edward Perraud, Nicolas Humbert, Martin Otter et Rudolf Herz.

Merci à eux.

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